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mardi 12 juillet 2022

DER LETZTE MOND VOR DEM BEIL - TOTENMOND

 (2016)

 Vous-êtes vous déjà senti en prison, attendant patiemment votre jugement, tournant en rond, les mains croisées et les membres raides, avant un combat qui se profile et qui sera votre dernier ? Avez-vous déjà connu cette sensation d'impuissance et de soumission aux éléments extérieurs ? Le fait que vous n'ayez aucune prise sur les pensées du juge et que votre funeste sort ne fait pas un pli. "Une dernière lune avant la hache de guerre", hein ? Le désespoir qui alimente une colère sourde mais vaine. Hé bien, voilà ce qui transpire de cet album, voilà ce qui le caractérise. Fin du texte, merci et euh... bon, allez pour vous, détaillons un peu plus tout de même.

 Totenmond, la lune des morts, voilà un nom qui n'est pas inconnu de ceux qui auront parcouru ce blog miteux. Loin d'être un groupe récréatif, le trio puis duo du Baden-Württemberg, douce Heimat, est de l'engeance qui vient sournoisement vous prendre au cœur, qui saura patienter avant de grandir en vous et de ne plus jamais partir. Fondé comme un groupe de deutschpunk de seconde zone à la fin des années 80, s'inspirant de la matrice de cette époque (Chaos Z, Razzia, Slime, OHL, Inferno, tels étaient les dieux de ce temps-là) il a par la suite réussi à s'en extraire, incorporant des éléments novateurs en 1990, tremolos black et death, tempos doomeux. Un mélange d'influence maitrisé et rare. Spécialiste des compositions faussement simples, tout comme leurs compatriotes malfaisants d'Eisregen, c'est bien sûr avec leur album de reprises 'Auf dem Mond ein Feuer' de 2001 que votre serviteur a commencé personnellement à prêter une oreille aux sons extrêmes. 'Thronräuber' suivit et reste une référence absolue, indépassable, au point que 'Schwarz als Zweck' reste la seule reprise de metal que j'ai jamais joué devant public (après accord du groupe, super sympa au demeurant). Leur dernier effort en date, sorti il y a 6 ans de cela, ne m'avait pas plus convaincu que cela à l'époque, une première déception pour un groupe jusqu'ici parfaitement intransigeant et intransigeament parfait. Alors pourquoi en parler alors aujourd'hui ? Hé bien parce qu'il y a quelque chose à l'intérieur de cette galette, quelque chose qui accroche, et qui s'est réveillé récemment, au point de hanter mon sommeil ces dernières semaines.

Totenmond c'est avant tout une histoire de rythmes. Tribaux, ronds, bien placés sur les tomes, agressifs mais presque dansants. 'Blut auf krank', absolument génial, dans son approche tout comme 'Fort von Gott' vous le rappeleront. On retrouve ici tous les poncifs du groupe, riffs gras, passages sludges/dooms bien lents ('Kehrwoche Sommerschnee auf Golgotha'), alternant avec des parties plus frustres dans la droite ligne du vieux deutschpunk. La recette ne change pas d'un iota, mais c'est bien dans l'exercice de style que se cachent les détails de l'évolution du groupe. La fatigue apparait et certaines choses commencent à tomber à plat, notamment 'Tötet den König' et son air de foire à la saucisse sauce Hellfest, ou les passages plus atmo de 'Zu den Waffen', 'Gitköder'. Un essoufflement certain point même en toute fin d'album, culminant avec le massacre qu'est la reprise de Deep Purple (vraiment, qu'est-ce qui vous a pris ?!?), puis la piste à l'orgue, 'Die Salbung'. Une faute de goût sérieuse, un point final de carrière particulièrement raté qui est à mettre en balance avec l'excellent titre d'ouverture, tout en tension, ou les saillies  deutschpunk résurgentes. Le cliché rammsteinien n'est pas toujours loin ( la voix au microphone sur 'Hölle mit Hof') mais pour l'essentiel on retrouve la patte qui a fait la renommée relative de la formation.

Les paroles sont comme à l'habitude très travaillées, et oscillent entre simplicité punk, toujours dans la fidélité aux idoles d'antan, et références à de l'allemand poétique ancien, flirtant avec les poèmes des sagas païennes d'antan. Une tentation archaïsante qui vient nourrir des paroles sombres et cryptiques, que l'on devine habitées par les mauvaises consciences de la Germanie ancienne. Métaphorique, guerrier, désespéré, courageux, parfois pompeux ou abscons, le style de Totenmond reste unique et percutant. Allié de la musique, en symbiose avec elle, chacun y verra ce qu'il y voudra, et même si les attaques contre le christianisme et un certain satanisme inquiétant peuvent parfois affleurer, l'esprit de ces sombres poèmes puisent bien plus aux racines de la culture allemande et de la contestation anticaptialiste que dans les messes noires. Cela se traduit également dans le chant, pas encore guttural comme du death, déjà plus punk hormis dans son phrasé. Évidemment, Pazzer en fait des tonnes, mais il use de sa voix comme d'un instrument placé au milieu du reste, et non comme c'est souvent le cas au-dessus. L'expertise est donc toujours là et l'expérience paye, l'atmosphère d'urgence et de défiance, la noirceur mais aussi la force persistent, heureusement.

Au final, un album inégal voire assez mauvais parfois mais possédant encore assez de bravoure pour arracher quelques spasmes. Oui, une dernière braise de la machine de guerre allemande qui aura secoué son petit monde, aux confins entre deutschpunk, doom sludgy et death metal. Une dernière lune avant la condamnation et l'oubli éternel, définitivement. Merci et au revoir.


 

Recommandé :

- 'Die Entheilung des blasphemischen Josef und der ewige Regen', Der Regen war der Teufel.

- 'Hölle mit Hof', Chaos Z worship.

- 'Blut auf krank'

- 'Fort von Gott'


我想你. 不再和你说话是一种折磨. 再也见不到你就像慢慢死去.


 

mardi 15 juin 2021

KOHLRÜBENWINTER - PISSE

 (2016)

Par où commencer ? Le nom ? La couleur évocatrice ? L'attitude ? Le groupe ? Difficile question car Kohlrübenwinter ('hiver de betteraves') est un de ces objets dont on ne sort pas indemne et dans lequel on entre pleinement, sans aucune concession. 8 pistes issues de deux EPs réunis et deux pochettes hypnotiques, voilà le programme.

 Un bon visuel, bien marquant, c'est toujours un plus et honnêtement si on décrypte cette image d'apparence absurde au premier abord, cela fait sens avec le son. Tout sent ici le deutschpunk des origines. Depuis la police en frakturschrift (typique de la fin du XIXème, début XXème), le détournement de l'image du retour à la terre si cher aux traditionalistes avec l'irruption d'une banane géante face cette paysanne wilhelmienne, tel un choc entre des racines supposées meilleures et le monde moderne globalisé -la banane ayant été introduite en ex-RDA en 1989 et véhiculant une symbolique supplémentaire à celle de nous autres pauvres occidentaux pur jus-, cette couleur unie tellement typée DIY fin 70s. Le groupe pousse le vice jusqu'à singer le logo des bananes Chiquita (pas du tout stigmatisant, non, non, même tonneau que Ya'bon) et joue avec son nom de très mauvais goût. Bref, un objet arty et plus réfléchi que l'on pense sous un aspect à la fois kvlt et cheap !

Musicalement, le groupe prend le parti pris d'aller à fond dans le son primitif du deutschpunk, celui des toutes premières années à l'Ouest quand les soldats et les ondes britanniques avaient à peine déposé les graines des scènes de l'Ouest, dans la Ruhr, le Baden-Württemberg ou bien évidemment la cité à qui l'on doit tant, Hambourg . Ici on se retrouve donc avec un objet de dévotion totale à la frange la plus arty et précoce du deustchpunk, bien avant les brûlots si souvent cités sur ce blog. On est totalement ici dans le giron du premier Abwärts, d'Einstürzende Neubauten (Blixa Bargled étant directement cité), d'Artless  ou d'Hans-a-Plast. Bref du très très vieux. Outre ces influences évidentes se trouvent également une approche très est-allemande, très Amiga, avec l'inclusion de ce synthé fantomatique (Cuir, groupe francophone que je vous recommande a exactement la même approche). Cette image désuète de ce qui avait fait toute la singularité de l'ostpunk pré- et post- chute du Mur (Die Firma ! L'Attentat ! Feeling B !) se retrouve ici, intacte, comme conservée secrètement dans un vieux frigo des années 80, caché dans un bunker désaffecté de la NVA, ouvert par hasard en 2016. Ah oui, je ne vous l'avais pas dit mais Pisse est originaire de Dresde en ancienne terre socialiste, comme quoi les pommes, enfin les bananes ou les betteraves ne tombent pas loin de... enfin vous avez compris.

Les ambiances alternent, tantôt crépusculaires et décadentes ('Drehtür', 'Vernissage'), parfois stupides (l'intro de 'Armes Schwein'), mais aussi totalement deutschpunk bas du front (le reste de 'Armes Schwein') ou dansantes ('Hundgelatine'). Aucun instrument n'est réellement technique, pour ainsi dire on pourrait même parler de faiblesse pour la guitare avec ces accords ultra-basiques, mais il se dégage tant au niveau des rythmes que des sonorités une maîtrise d'un certain vide, d'un certain minimalisme, pourtant efficace. Le chant est dans la droite lignée de ce qui se faisait dans les premières heures et ne détonera pas du reste, avec des chœurs particulièrement efficaces. Enfin la production est léchée, avec une impression de distance et la juste dose de lo-fi pour retrouver ce son typique des productions indépendantes de la fin des années 70-début 80, subtilement digitalisé pour ne pas paraître trop daté. Très très bien pensé (ou pas) ! Tout donc est lié et rien n'est superflu, c'est à ça que l'on remarque l'essence même d'un album qui vous hantera, l'air de rien. 

 Enfin parlons des textes. Hachés, abrupts, vaguement dérangeants et apathiques, parfois bizarres et appelant à des notions freudiennes de stade oral, ils sont dans la veine de la critique originelle des premiers groupes de punk de la sphère warholienne à New York ou des groupes pré-anarchistes de Berlin -Berlin-Ouest pour le coup puisqu'à l'Est avec ce genre de discours c'était une disparition "à la chinoise" qui vous attendait en ce temps-là. Sous des couverts de sadomasochisme, de cruauté, et de nourriture malsaine, les éléments du quotidien sont détournés ou plutôt retrouvent leur étrange absurdité, celle de symptômes d'un système sans sens, en roue libre, d'une vie dans un monde de capital, dénuée de véritable but. Ou dit autrement, la société c'est de la merde (encore et toujours ce même message... et si c'était vrai ?!). Certaines punchlines si vous prenez la peine de les lire, ou de vous plonger dans la traduction, ne vous quitteront plus. Sur 'Hundsgelatine' ce sombre gamin jouant avec ses Haribos et son chien, vous remettra bien en tête que les enfants sont des ordures en puissance et n'ont rien de pur. Ou la vacuité de cette société mondaine assistant à un vernissage  sur la piste éponyme, présentée sans fard (si comme moi dans une autre vie vous avez fréquenté des cercles un tant soit peu artistiques, vous savourerez...). 'Alt sein' et 'Drehtür' sont plus amères et si la première aborde le temps qui passe et la mort absurde elle aussi, la seconde vous rappellera aux côtés de 'Diesntleistungsgesselchaft' que toute votre vie vous serez prisonniers des marques et de l'exploitation, un produit parmi d'autres produits et que vous ne serez qu'un paumé au final, dans un monde creux. Bref, la triste réalité si on réfléchit bien. Mention spéciale au speech de Louis de Funès en allemand, par ailleurs.

Au final, bien que le reste de la discographie de Pisse soit plus erratique et éclectique, trop peut-être, 'Kohlrüberwinter' est un excellent album qui comme Feeling B ou Die Firma est captivant par son étrangeté, comme une espèce de pari fou et comme 'Punk bleibt punk' de Kotzreiz en son temps, la preuve que bien qu'endormies les scènes punk allemandes peuvent encore donner des frissons à l'heure actuelle.
 

 


Recommandé : tout, absolument, même la très atmosphérique 'Dienstleistungsgesellschaft', dispensable musicalement mais cloturant légèrement une œuvre déjà bien dense.

lundi 25 janvier 2021

STRONGHOLD - SUMMONING

(1999)

Peut-on considérer une œuvre indépendamment du contexte de sa création ? Épineuse question vous en conviendrez et dont vous n'aurez probablement pas de réponse une et définitive de votre vivant pour peu que vous vous la posiez. Mais vous êtes des personnes d'esprit puisque vous êtes restés après cette accroche, et comme vous êtes perspicaces, vous vous doutez bien qu'on ne va pas jouer à l’exégèse et aux commentaires d'un texte ancien quelconque, mais bien d'un bon vieil album, raffinage 22 ans d'âge. Summoning et moi c'est une longue histoire, une sombre histoire liée à deux femmes bien différentes et fort semblables que je vous garde pour une autre fois, et de nombreux rendez-vous ratés jusqu'à ce que par un détour inattendu ils reviennent vers moi et qu'on rattrape enfin le temps perdu. D'où cet article, fruit de mes réflexions à l'écoute plus que régulière ces derniers temps qui j'espère apportera un angle légèrement différent de celui des autres innombrables pavés leur étant dédié sur la chroniquosphère.

 Pour ceux qui viendraient d'autres horizons que les sombres eaux du black metal, il peut être utile de faire une brève présentation du duo légendaire dans le milieu qu'est Summoning, du moins différente de celle de Wikipedia.

 A l'origine Summoning était un trio de teenagers versés dans le hard rock et ses dérivés liés au suicide sous assistance du grunge, populaires auprès des mâles hétéros cis-genres non-colorés de cette frange temporelle située entre 1992 et 1995. Le thrash finissant/death commençant son règne international de courte durée après le pour Protector et le prolongement doomesque de ce bon vieux heavy brittanico-germanique pour Silenius. Mais malgré l'errance propre aux premiers groupes allant dans ce sens, ils se convertirent à la nouvelle mode de l'époque dans les milieux undergrounds du metal, tout droit venue de Norvège. Pour mémo Kurt Cobain meurt en 1994, Varg Vikernes a son procès à Oslo, tout les albums de death metal cultes ou presque sont déjà sortis depuis un ou deux au minimum et l'Autriche n'a toujours pas intégré l'Union Européenne, en faisant le dernier ersatz de terre germanophone bien conservatrice malgré les incartades folles de ce maestro qu'était Falco. Alors qu'ils tâtonnaient encore, surfant sur les thèmes éculés, mort/Satan/vikings (d'où leur nom, relique de cette époque primitive), l'un d'eux se mit à lire un auteur réputé hautement ésotérique et trop evil, ce bon vieux Jéreureu Tolkien, qu'ils eurent la bonne idée d'associer à ce son naissant.  Le trio devenu bien vite duo sortit dans la foulée un album aujourd'hui disputé par les fans et eux-mêmes, 'Lugburz', petit succès chez les metalleux locaux, suivi du terrible 'Minas Morgul', du pas terrible 'Dol Guldur' et d'un court EP, attirant l'oreille de labels de plus en plus gros, culminant avec Napalm Records.Voilà pour le contexte du groupe.

 Il est de même très intéressant de noter l'aspect exotique qu'a pu avoir Tolkien pour le microcosme pré et paléo-Internet autrichien -et germanique en général- dans l'escapade proposée par Summoning. Certes il y a les vagabondages de par Arda, mais il y aussi cet aspect anglais et ancien, encore renforcé par l'usage de deux textes datés sur 'The glory disappears' et 'The loud music of the Sky', bien éloigné du quotidien des Autrichiens, surtout de cette période sans globalisation. La patrie des Habsbourgs étant réellement éloignée du monde anglo-saxon, particulièrement suite à son isolement contraint lors de la guerre froide, Summoning fait le pari de l'ambiance, jusque dans cette pochette tirée d'un tableau de John Martin, peintre romantique anglais du XIXème spécialisé dans les scènes paysagères aux couleurs tortueuses, éthérées et crépusculaires d'inspiration mythologique ou historicisante. Le dépaysement proposé est donc d'une triple nature. Triple car l'auditeur d'alors se retrouve projeté dans un monde fantastique, dans une culture d'un autre temps et d'un autre lieu, mais aussi avec une mise en abîme plus large, dans l'évasion d'un quotidien pouvant être ennuyeux ou étouffant, avec une immersion sonore tout simplement, comme une parenthèse dans un Ailleurs fugace.

Le duo joue toujours à plein la carte du synthé, créateur d'ambiance se voulant médievaliasantes mais trahissant une conception très 90s de l'electronica ambiant  tout en remettant plus en avant la guitare, dont les tremolos droits sortis des heures primaires du magma norvégien initial ne pourront que saisir et prendre aux tripes, réveillant les sentiments des premières immersions dans ces scènes si particulières. En somme on retrouve ce son world-electro diffus puisant dans la naissante darkwave tout au long des '90s que les membres du duo pratiquent dans leur projets parallèles comme Die Verbrannten Kinder Evas ou Kreuzweg Ost de façon quasi-identique. Vous savez, ce son dont Enigma fut le paroxysme mercantilisé grand public, s'étant infiltré jusque dans cette bonne vieille pop française d'alors qui ne se privait pas d'y recourir (Mylène oui, on parle de toi), mais accolé ici à 'Dark Medieval Times', Enslaved première époque et consorts. La piste d'exposition, 'Rhûn', vous plonge directement  dans le bain avec son rythme martial impeccable et ses cors lourds et pompeux, fatigués de leur existence que l'on imagine longue. Les éléments à proprement parler BM entrent naturellement, de façon scénique et large, s'articulant en complémentarité avec les sonorités plus artificielles. L'aspect boîte à rythme mécanisée et froide est ici plus à propos que ne l'aurait été une batterie organique, marquant le pas, une distance, prolongeant l'impression d'altérité tandis que les riffs presqu'en retrait vous hanteront de par leur maestria nébuleuse (le brouillard ça c'est black metal, vous pouvez rien faire). Les mélodies de 'The Glory disappear', 'The Rotting Horse on the Deadly Ground' ou 'The Shadow Lies Frozen on the Hills' ne vous quitteront jamais si vous leur ouvrez vos tympans, garanti.

 La recette n'est pourtant pas inédite, loin de là. D'autres formations contemporaines scandinaves avaient tenté l'expérience avec peu, voire aucune légèreté, aucun effet de volume et d'espace. La parfaite illustration de ce que Summoning a évité comme écueil peut trouver contre-exemple le premier Finntroll, 'Midnattens Widunder' sorti la même année, beaucoup, beaucoup plus balourd, trollesque, sans raffinement et ce même pour les pistes les moins hummpa. Alors oui même sur 'Stronghold' , tout n'est pas parfait, on peut retrouver certains traits de cette façon de jouer commune à l'époque. Il reste quelques airs champêtres de chasse à la pâquerette ou à l'edelweiss (humour) comme sur 'Dol Guldur', tirant plus vers les ritournelles volksmusik de fête à la saucisse, mais ça reste bien plus discret que chez les groupes-étrons à clavier "kvlts" comme Dimmu, Cradle... bref ces trucs-là... mais ils ne dérangent que peu l'expérience. Le synthé est un maître exigeant et il est peu évident à manier, son aspect daté et cheap, presque forcé contribue rétrospectivement aujourd'hui à un voyage absyssal dans un passé musical récent, lorgnant sur des thèmes d'un autre passé plus distant. Bien entendu, les compositions sont simplissimes, se déroulant de façon entendue le plus clair du temps, sans surprendre mais tel n'est pas le but de la recette Summoning qui est là pour poser les choses, poser le décorum d'une réflexion moins futile qu'il n'y parait. L'ultime piste, 'A Distant Flame Before the Sun', inquiétante, Ragnarok lunaire et mortifère de cette galette,  dans son développement aussi lancinant que l'Anduin ou le Rhin des Nibelungen en est l'expression la plus flagrante.

 Au niveau du fond, on peut de prime abord s'étonner de cette association entre les écrits fantasmagoriques d'un auteur britannique résolument catholique (ce qui n'est déjà pas très commun) et celles musicales, nourries au sous-satanisme plus ou moins hollywoodien, de deux jeunes metalleux autrichiens. Mais à y voir de plus près, bien que le but du premier et des seconds à leurs débuts divergent totalement, l'un nous décrivant la victoire d'un Bien malmené contre un Mal écrasant, les autres se plaçant résolument du côté maléfique de l'échiquier pour l'aspect choquant et puissant, on peut y voir une certaine confluence. Les seconds se sont nourris des visions lugubres de la part sombre du premier à leurs débuts, avant de relativiser leur propos dans la suite de leur discographie et de n'en garder qu'une esthétique décharnée quasi romantique. Mais en conservant toujours une perspective sombre et morbide, parce que black metal hein, quand même. Ce qui fait l'intérêt particulier de 'Stronghold', c'est qu'il est le premier LP à se démarquer de cette fascination quelque peu puérile envers le Mal, incarné par les forteresses de Sauron (Dol Guldur) ou de ses sbires zélés tout de noir vêtus (Minas Morgul), pour placer l'éventualité d'un possible plus large, avec ce titre plus neutre de "Bastion",pouvant tant renvoyer aux fortifications précédemment citées qu'à Minas Tirith, Edoras, ou celles des autres races du legendarium, voire dans notre monde à cette impression anxiogène ou élitiste qu'affectionne le black metal en général : être les derniers des purs dans un monde d'impur, musicalement ou plus largement culturellement (vous choisirez quelle version de cette vision de combat vous sied au mieux). Un choix significatif, implicite ou non, qui se plus fera prégnant dans la direction ultérieure de leur discographie privilégiant le côté atmo et narratif et délaissant violence et noirceur initiales du projet. 

 Le propos reste noirâtre, morbide ou mélancolique selon les morceaux. Le temps qui passe, les errances, la souvenance y occupent une place bien plus importante que le fracas des batailles. La peine y est bien présente, plus que la mort, approchée comme un absolu, une contemplation de la décadence du vivant plutôt que comme une fin en soi. Les étoiles, fréquemment citées, guident le voyage où une seule et unique mention directe à Tolkien est à noter, Morgoth, détachant totalement le texte et les pistes du legendarium, ce dernier ne servant que de devanture, de glaçage, à un propos que l'on découvre surprenamment plus intimiste et personnel que l'image de marque du duo ne le laissait supposer.

 Le chant écorché se fait parfois plus clair, moins raw, pour mieux accompagner ce changement, avec une réverbe profonde accentuant l'aspect montagneux (les Alpes ? Les Monts Brumeux ?) de l'ensemble, détaché du temps, comme un écho ancien perdu entre les vallées. Parfois encore teintée de ce craché bileux black old school ('The glory disappears'), il se fait plus émotif, perdu, donnant une nouvelle dimension, trahissant une souffrance mélancolique quand il le faut ('Like Some Snow-white Marble Eyes'). Et puis il y a cette voix féminine aux faux airs d'opéra sur 'Where hope and daylight die', inattendue, grandiloquente que l'on imagine celle d'un spectre vêtu de noir meurtri par la mort lointaine d'un amour ancien, reclus dans une quelconque place forte veillant sur la mère-Danube. Fantomatique, Tania Borsky réussit un exercice difficile. Tarja et ses copines à coffre n'ont jamais eu mes faveurs, c'est pour vous dire le remarquable travail d'immersion pour arriver à faire passer ça.

Au final, peut-on détacher Summoning de Tolkien ? Ma foi, oui, car la force du duo réside avant tout dans une mélodicité irréprochable doublée d'un désir d'expérimentation savamment cadré ouvrant la voie à une recette qui par la suite va perdre en superbe et inspirer toute une vague éculée, prétexte uniquement à l'évasion. Dans tous les degrés qu'elle comporte.


Recommandé  : tout mais les hammer-hits sont :

- 'Rhûn'
- 'Long lost to where no pathway goes'
- 'The glory disappears', le chef d’œuvre de la galette
- 'The Rotting Horse on the Deadly Ground' pour son riff hanté
- 'A Distant Flame Before the Sun'
 

samedi 23 janvier 2021

NÜCHTERN UNERTRÄGLICH - KOTZREIZ

  (2020)

Tiens, tiens, wer ist wieder da ? Et oui, Richter qui sort de sa grotte en préfa, tel un chroniqueur de black metal melo en pleine insécurité sans chaîne Youtube (ni jean sur la tête). C'était une aprem crasseuse comme tant d'autres, dans mon autre vie, celle où j'étais occupé et où je n'avais pas le temps d'alimenter ce blog miteux, je m'en souviens bien. Bien calé le cul sur les strapontins de la RATP qui ont vu des millions de culs avant le mien, le nez dans mon smartphone capitaliste déjà trop vieux, entouré de personnes à fond dans les cultures urbaines, street, chiques et décalées, ultra-globalisées et de quelques poivreaux, c'est là que s'afficha la nouvelle. Kotzreiz revient ! Mon visage blâfard s'anima alors d'un vieux feu, celui d'un autre lieu, d'un autre temps et me renvinrent en tête par rafale les images du passé. Alors les têtes pleines d'eau de la ligne 10 s'écartèrent de moi et me laissèrent passer lors de la descente, comme on laisse passer un fantôme.

 Car là c'était du sérieux,  on parle de Kotzreiz, pas n'importe quel groupe avec pas n'importe quelle ascendance dans la punkerei d'Outre-Rhin ! A l'image d'un autre groupe de province, Kotzreiz est né il y a une bonne treizaine d'années de la collaboration en projet parrallèle de Kotze -Vomi, la classe, ça c'est punk comme pseudo dis donc- guitariste de 200 Sachen, formation de pop à tendance vaguement punkisante fort sympathique menée par la pétillante et sémillante Kata Stroffe que j'avais vraiment kiffé en 2006 (urghhh putain...) et du batteur Reiz officiant, lui, avec l'autre groupe à chanteuse germanophone à jamais dans mon coeur, Jennifer Rostock. Du bon pédigré donc, mais qui en avait peut-être sa claque de faire office de PNJ derrière ces deux écrasantes personnalités vocales, de la subtilité et des sentiments sur riffs ultra-efficaces dans cet entre-deux éternel entre punk et pop. On comprendra leur envie de bruitisme primaire et acide dans leurs à-côtés du dimanche. Affublés d'un copain bassiste, ils sortirent en 2010 leur premier brûlot destructeur à la formule ramones dopé au vieux deutschpunk bien rentre-dedans, 'Du machst die Stadt kaputt'. Succès immédiat dans le petit milieu des rédacteurs de fanzine berlinois en manque de trve, mais à mon sens c'est vraiment leur second opus 'Punk bleibt Punk' qui a sauvé le deutschpunk de la stagnation, qui finit malheureusement tout de même par arriver courant 2016. PbP c'était la claque que tout le monde méritait, parfaitement raw et aigri, quasi-indépassable ! Difficile de succéder à ce chef d’œuvre  galactique donc. Le trio sans doute happé ailleurs a donc pris son temps (huit putain d'années) avant d'oser montrer leur bout de leur nez.

  Kotzreiz ayant laissé la scène récente aux Alarmasignal, Pascow et autres Missstand se permet le luxe de faire évoluer leur son durant le silence médiatique, se démarquant de ces derniers et du reste des formations plus jeunes et obscures en s'assagissant. D'emblée le constat est là : un air de Clash flotte désormais sur l'ensemble de la galette, influence assumée et recherchée, en quelque sorte l'un des débouchés naturels de l'évolution d'un groupe de punk en mal de renouvellement. Là où on pouvait craindre au vu du morceau éponyme un soufflet dégonflé, comme les Clash, il n'en est rien et les petits ajouts résolument rocks amènent une fraîcheur relative. La composition tend à se faire moins minimaliste, ajoutant des soli bluesys vraiment sympas, parfois des essais plus expérimentaux (l'électropunk de dance-floor à nouveau sur 'Toilettenstern' et 'Der räudige Aal' ou le double rythme sur la fin d' 'Ich bin ein Wrack') mais les fondamentaux sont toujours présents et l’exécution est d'une maîtrise totale tant au niveau du flow que des instrus au millimètre et difficilement criticables. Une sérieuse impression de deux temps d'écriture se dégage de l'ensemble tant une moitié de morceaux est dans la lignée droite de PbP ('Wer ist wieder da', 'Eiskalten Ohren', 'Ich bin ein Wrack','Ratten im System' datant lui de  2015, avec son inquiétante ambiance de décrépitude pré-apocalyptique) alors que les autres qu'on imagine plus tardifs sont dans cette optique de relative ouverture. L'aspect compilation de deux EPs a un rendu inégal mais on passera car en soit les morceaux sont bien pensés, à l'exception du très dispensable 'Sambuca Beach' et de son riff surf totalement cliché.

  Au niveau du chant, là aussi on s'assagit même si ça gueule toujours bien, surtout sur 'Ratten'. Plus mélodique et parfois un poil mélancolique, le chant se fait moins abrasif dans l'ensemble. On notera la présence de deux guests féminines amenant de la variété (comme quoi, on retourne toujours aux bases hein) et que je n'ai malheureusement pas pu identifier. Même si au timbre la voix de 'Der räudige Aal' fait furieusement penser à celle Kata Stroffe. Les paroles s'éloignent quelque peu des incisions à vif des opus précédents et un certain recul mélancolique sur le monde, la vie, les amis et les amours poind. Kotzreiz clamaient qu'ils ne chantaient pas sur ces thèmes, c'est bien fini ! Les réflexions alcoolo-philosophiques ont donné leur noms à l'album mais à mon sens c'est bien l'amour qui transpire de la majorité des morceaux, à côté ou parfois mélangés à un aspect plus sociétal. Amour pour la scène, toujours, pour les autres, parfois, amour dans les chiottes avec un(e) inconnu(e), pourquoi pas. Le point culminant de la galette étant le magnifiquement émotionnel 'Punkboys don't cry' tout en nuances. Ok,  cela ne vaut pas pour  'Eiskalte Ohren' dont le message d'un engagement rare peut se résumer à "On se les pêle bordel !". Goethe n'a qu'a bien se tenir.

 Au final, huit ans c'est long et le monde a eu le temps de changer largement, Kotzreiz compris. Loin de sortir une galette impérissable comme la précédente, le trio berlinois signe tout de même un album de très bonne facture qui a tourné plusieurs mois dans mes playlists personnelles. Malgré une fin très abrupte, totalement recommandé ! 

https://kotzreiz.bandcamp.com/

 



 Recommandé : globalement tout l'album  sauf 'Sambuca Beach' mais les points d'orgues sont :
- 'Wer ist wieder da', Aufruf dans la tradition allemande
- 'Toilettenstern', c'est tellement ça les fins de soirée...
- 'Punkboys don't cry', la pépite du skeud, fort  émotif mais sans sensiblerie surfaite
- 'Ratten im System' ca-ta-cly-smique
- 'Nix zu verlieren'






為了森林裡最美麗的,我真的愛你.

"Te souviens tu encore ? ... Chaque journée de merde, je m'assois seul au bar, je bois pour nous deux, mais les gars punks ne pleurent pas"

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