vendredi 22 janvier 2016

DUNKLE STRASSEN (1981 - 1995 KOMPLETT) - CHAOS Z

(1981-1995)


  A quoi associez-vous la musique que vous écoutez ? Pour certains la musique est un des moyens que l'Homme s'est trouvé pour exprimer un sentiment enfoui (optique cathartique) ou bien au contraire revivre une émotion, une sensation associée à un moment précis de la vie. Voire la conjonction des deux. Sujet intéressant à creuser lorsque l'on consomme plus d'albums que la moyenne. C'est de façon assez paradoxale un événement très récent qui m'a poussé un soir comme tant d'autres à retourner vers une des sources du deutschpunk, Chaos Z, alors que j'aurais pu encore tomber un peu plus dans le black metal atmo ou tenter de voir pour la 1887è fois si jamais la pop music pouvait encore me faire de l'effet. C'est ainsi qu'un soir vide et morne comme j'en ai connu des centaines d'autres est revenu me frapper du plus profond de mes méninges cette image suicidaire en rouge et noire et ce sentiment de creux cruel que j'avais associé aux dernières sorties de Fliehende Stürme, entité qui a suivi Chaos Z. 'Krass' était la chanson parfaite pour cette soirée, et c'est ainsi que je me suis résolu à enfin parler ici même de ce groupe ô combien crucial dans le vieux punk allemand.

  Au tout début de la décennie 80 le punk allemand commence à vivre de ses propres ailes et à se démarquer du punk anglais, tant musicalement que par son message qui devient plus dur et plus "national". En quelques années les plus grands groupes sortent les EPs et LPs qui définiront le paradigme de la keuponnie germanique, avec des ramifications d'influence même au-delà de la Sainte Patrie Germanie, et ce jusqu'à la légère américanisation d'une partie de la scène au mitan des années 90. Toxoplasma, Slime, OHL, Razzia, Inferno, EA80, Vorkriegsjugend, le vieux Normahl, Canal Terror, vous reconnaissez la litanie des grands anciens que tout les petits cons de la fin des 90s ont redécouvert en s'intéressant un peu plus aux origines du punk à roulettes. De ce magma chacun est parti dans sa propre direction peu avant la Chute du Mur, mais quasiment aucun n'a suivi le chemin de Chaos Z.

  Dans cette monolithique anthologie regroupant tous les EPs et LPs édités par le groupe sous leur nom d'origine ('y a marqué Komplett sur la boîte, c'est pas pour rien) on pourra suivre toute l'évolution des Stuttgartois et ce depuis leurs débuts frustres et plus que rudimentaires, dignes d'un groupe de punk français tellement ça vole bas techniquement. A leurs débuts en effet le groupe lorgne sévèrement sur l'agression pure et amélodique de leurs collègues Razzia et Toxoplasma. S'inscrivant alors totalement dans le courant purement haineux, hargneux et contestataire, Chaos Zukunft n'y va pas par quatre chemins et assène un punk hardcore européen sans concessions ni fioritures. 'Zwang', 'Alles ist grau', 'Harte Zeiten', tous les tubes sont bel et bien présents ici. Puis vient le tournant décisif, 1983 et le début des influences du post-punk et de la new wave anglaises. Le son se fait plus lent, plus rond, plus sombre. Impregné de ce nouveau pessimisme rudimentaire, aux accents légers de Joy Division. Chaos Z commence à muter et à entrer de plein pied dans ce qui sera sa marque de fabrique, le "depro-punk", très contemporain de X-Mal Deutschland, mais tout en gardant ce côté brut de béton propre au punk.

  Au-delà du chant lent et lamentatif, des accords de puissance et des rythmes hypnotiques, joués de telle façon que votre cerveau n'oubliera jamais ce son pas encore croûteux mais déjà complétement crépusculaire et déliquescent, ce qui fait le force de Chaos Z est cet entre-deux subtil. Jamais vraiment gothique, on ne sombre pas dans la mélancolie pour fillettes vêtues de noir, ni dans une tristesse sirupeuse et mollasse confondante, tout en restant tout de même assez lent et morbide. En effet au niveau des paroles, la contestation brute des premiers morceaux se mue tout doucement en colère froide puis en détestation acceptée du monde extérieur. Le monde est un poids pour Chaos Z, un poids qui vous brise de l'intérieur, dans un processus quasi-clinique de dépression, justifiant totalement l’appellation de leur style. Les derniers morceaux présentent de lourdes influences anglaises -difficile de ne pas penser à Killing Joke ou même New Order- et sont quant à eux porteurs d'un désespoir assumé, préfigurant déjà le meilleur (ou le pire c'est selon !) du DSBM à venir. Plus mélodiques, plus électroniques, avec des petits solis judicieux, ils incarnent la dernière phase de Chaos Z, la nouvelle entité dénommée Fliehende Stürme, qui depuis continue à sortir pour un public plus que restreint son lot de morceaux désabusés. Bref, vous l'aurez compris à titre personnel j'ai vraiment adoré la sensation de progression de ce recueil qui m'a par ailleurs donné immédiatement envie de retourner voir les derniers FS.

 
  Au final, un véritable monument à aborder dans son intégralité. On peut y voir une rétrospective historicisante traitant d'un des groupes piliers du vieux punk allemand et de son évolution, ou un énième best-of à durée de vie rallongée, soit. Ou alors on peut juste profiter. Les nerds et les weshs ont Dragon Ball Z, et les kleene punkers ont Chaos Z. Facile, je sais mais je me retiens depuis le début de cet article.




Sélection non exhaustive :

- 'Harte Zeiten'
- '45 Jahre'
- 'Isolation'
- 'Gewalt'
- 'Klassenkampf'
- 'Tropfen im Feuer'
- 'Einsam'
- 'Krass'


Note : les plus puristes savent sans doute que Chaos Z a changé de nom en 1983, mais étrangement c'est sous ce nom-là que furent publiés les derniers morceaux du double album et non sous Fliehende Stürme. La date, 1995, n'est pas anodine à mon sens, puisqu'elle correspond à celle de la mort du bassiste historique du groupe. R.I.P.

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