mardi 6 juillet 2021

UNA VIDA VULGAR - RATA NEGRA

 (2021)

On pense toujours que c'est fini. On pense toujours qu'on a fait le tour et non, déboule dans nos écrans et dans notre vie vulgairement connectée une météorite qui vous prend par surprise et par les tripes. C'est exactement comme ça qu'a débarqué une série d'albums extraordinaires peu de temps avant et depuis la réouverture de ce blog piteux. Chacun d'entre eux vaudrait la peine que soit écrit un article dédié et fouillé mais si on ne devait en retenir qu'un (ce qui sera sans doute le cas pour cause de flemmite aiguë -je vous dois rien d'abord hein, mes quelques lecteurs assidus comprendront), hé ben ce serait celui-la. Hop plan, en trois parties, comme d'habitude !

Pour vous planter le décor, le trio de Rata Negra nous vient de Madrid, une ville avec une atmosphère unique, magique et révoltante à la fois et officie depuis une dizaine d'années dans le genre de clubs qui ont défini le son espagnol dans le passé, mais où il ne reste actuellement qu'une dizaine de peulés trentenaires ou quarantenaires -ceux qui savent que Pearl Jam et Smashing Pumpkins ont existé en gros-, alors que les sesentas ils étaient au moins le quadruple. Bref, du bon pédigrée et un bon départ pour un groupe local "solide". Mais rien de non plus incroyable avant 2021 pour la rate noire. Des albums possédant chacun une ambiance propre, mais toujours avec un grain un peu vilain et radical, anti-clérical, dadaiste, bref culturellement antifranquiste mais porteur de cette vision dure et noire de la vie que l'Espagne propose en général. Non ce qui fait vraiment l'intérêt de cet album, ultime, quasi-parfait,  et le place clairement un niveau au-dessus, c'est une touche immersive de fou furieux qui fait mouche.

    La production est tout d'abord d'une propreté cristalline, ce que l'on attend pas tellement de la part d'un groupe de punk, a fortiori espagnol, sauf peut-être les Lendakaris Muertos. Le travail d'ambiance est absolument énorme, et je n'ose imaginer les heures passées sur la prod'... Tout respire, tout est à sa place, on en prend plein les esgourdes avec les petites variations du jeu de gratte à la fois classique, efficace, sombre mais aussi un peu fantasque de Fa, puisant dans un répertoire large et qui j'espère saura vous parler autant qu'à moi. Difficile de ne pas voir l'influence des groupes des années 80 de Californie (WASP pour le coup) comme Agent Orange, ou plus encore Adolscents période Rikk Agnew, mais subtilement habillée de tous les oripeaux des scènes espagnoles. Comment ne pas croiser les fantômes de las Vulpes, d'Eskorbuto ? Comment ne pas voir l'empreinte des autres groupes cultes argentins (Attaque 77, los Violadores, etc) ? Car c'est bien ce côté punk avec une légère influence latino qui fonctionne si bien ici, une couche d'écho flamenco voire surf, discrètement ska, ou de la pop la plus éculée sud-américaine dont nous pauvres francophones n'aurons sans doute jamais aucune idée précise ('Cuando me muera'), venant amener une plus value réelle à ce punk léger, fidèle à la façon de faire des pionniers américains. La basse ronde n'est pas en reste non plus, donnant assez de mouvement et de charpente aux morceaux quand il faut être mordant, mais sachant ne pas prendre trop de place sur les envolées plus légères. Quant à la batterie, elle sert bien le propos, impulsant des rythmes simples mais enjoueurs et mettant en valeur les autres éléments musicaux. Un son à la fois léger, varié, énergique et un tantinet vieillot et attristé.

    Enfin, il y a la voix hypnotique de Violeta. Parfaite, tantôt caressante, tantôt désabusée ou espiègle, mais avec toujours une touche des autres qualités, elle nous clame ses états d'âmes tour à tour émotionnels, violents ou vulgaires. De premier abord calme, comme une fausse Muncie Girl, nostalgique comme le pendant  européen d'une Generacion Suicida, Violeta pourtant a un piquant un brin acerbe dans sa façon d'amener son propos, qui fait ressortir tout le côté radical et excessif des scènes contestataires espagnoles de jadis, mais sous un couvert de fausse pop sucrée. Vraiment bluffant ! Comment rester de marbre quand elle nous raconte de façon douce-amère cette histoire d'amour que l'on devine tragique sur 'Romance de Lobos' ? Comment ne pas avoir envie de partir au quart de tour sur 'Venid a ver' ? Accidente de Barcelone avait déjà placé la barre assez haut il y a une dizaine d'années mais il manquait quelque chose que les Madrilènes parviennent à faire vivre ici : un mélange subtil de registres, peaufiné on l'imagine dans les moindres détails.

    Au final, quelle bonne bande-son exceptionnelle. Revigorant le souvenir de barrios fantasmés et d'une Movida déjà enterrée mais en y instillant à la fois douceur, inventivité et une certaine noirceur, nous voilà avec une chronique de vies rudement accrocheuse. La vie, la vie vulgaire mise sublimement en chansons. Mon coup de cœur depuis bien des années !


https://rata-negra.bandcamp.com/album/una-vida-vulgar

Recommandé : tout mais encore plus particulièrement :
- 'Venid a ver', meilleur début d'album depuis The Adolescents, sérieux !
- 'Maldición'
- 'En la playa'
- 'Romance de lobos'
- 'Llorando'


 

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